JOURNAL, Lausanne, Avril 17, 1764. — Guise et moi, nous avons donne un dîner excellent et beaucoup de vin A Dupleix, et a beaucoup d'autres. Après dîner noua nous sommes échappés pour faire quelques visites aux Grands, aux Seigneux, et aux d'Illens. Je para avec quelque regrets: cependant un peu de vin, et une gaieté dont je ne pouvois rendre raison, m'ont rendu d'une étourderie sans pareille, vis-à-vis de ces petites. Je leur ai dit cent folies, et nous nous sommes embrasses en riant. Mésery nous a donné un très beau souper avec une partie de la compagnie du matin, augmentée de Bourgeois et de Pavilliard. Ce souper, les adieux, sur tout a Pavilliard, que j'aime véritablement, et les préparatifs du départ, m'ont occupé jusqu'à deux heures du matin.
Je quitte Lausanne avec moins de regret que la première fois. Je n'y laisse plus que des connaissances. C'étoit la maîtresse et 1'ami dont je pleurois la perte. D'ailleurs je voyois Lausanne avec les yeux encore novices d'un jeune homme, qui lui devoit la partie raisonnable de son existence, et qui jugeoit sans objets de comparaison. Aujourdhui j'y vois une ville mal bâtie, an milieu d'un pays délicieux, qui jouit de la paix et du repos, et qui les prend pour la liberté. Un peuple nombreux et bien élevé, qui aime la société, qui y est propre, et qui admet avec plaisir les étrangers dans ses coteries, qui seroient bien plus agréables ai la conversation n'avoit pas cédé la place au jeu. Les femmes sont jolies, et malgré leur grande liberté, elles sent très sages. Tout an plus peuvent-elles être un peu complaisantes, dans 1'idee honnête, mais incertaine, de prendre un étranger dans leurs filets. La maison de M. de Mésery est charmante ; le caractère franc et généreux du mari, les agréments de la femme, une situation délicieuse, une chère excellente, la compagnie de ses compatriotes, et une liberté parfaite, font aimer ce séjour a tout Anglois. Que je voudrois en trouver un semblable à Londres! J'y regrette encore Holroyd, mais il nous suit de près.