Je n'ai point change de sentimens pour Monsieur votre fils. Il vous rend compte de ses études, et je puis vous assurer qu'il ne vous dit rien qui ne soit très vrai. Il emploie très bien son temps, et il s'applique extrèmement, aussi a-t-il fait beaucoup de progrès. Il entend très bien le Latin, et il a lu les meilleurs auteurs que nous aions, et cela plus d'une fois: il a lu la Logique de Mr. de Crousaz et 1'Essai sur 1'Entendement humain de Mr. Locke, dont il a fait des extraits: il a commence le Grec, et il s'y attache: il va commencer 1'algebre, comme vous In lui ordonnez. Vous jugerez par ses lettres s'il entend le François, car je vous assure que je n'y ai fait aucune correction.
Par rapport à la religion, il n'a pas laisse échapper un seul mot, qui ait pu me faire soupçonner qu'il eut encore quelque attachement pour la religion Romaine, et quoique nous parlions souvent sur ces matières je le trouve toujours penser très juste sur toutes les questions qu'on traite. Le petit voyage que nous avons fait lui a beaucoup valu à cet égard: il a été témoin des superstitions épouvantables, qui y régnent: il en a été d'autant plus frappé qu'il ne le connoissoit pas, et qu'il ne pouvoit s'imaginer qu'elles fussent aussi grandes. Quand il n'auroit pas déjà renonce à cette communion, il l'auroit fait indubitablement, tant elles lui ont paru excessives et déraisonnables. Je suis persuade qu'il a embrasse le parti Protestant par raison, et qu'il y a peu de personnes qui aient plus examine et mieux senti la force de nos preuves quo lui. Je lui dois ce temoignage, et je le lui rends avec plaisir, de même quo sur sa bonne conduite.
P.S. — La lettre que vous avez écrit à Monsieur votre fils 1'a extrèmement touché parce qu'elle lui a fait voir que vous étiez mécontent de lui. Rien ne pout le mortifier davantage quo cette idée. Rendez lui, je vous supplie, votre affection, il la mérite, par 1'attachement qu'il a pour vous.
Janvier 12, 1757 MONSIEUR,
Vous avez souhaité que Monsieur votre fils s'appliquât à 1'algebre; le goût qu'il a pour les belles lettres lui faisoit appréhender que l'algèbre ne nuisat à ses études favorites; je lui ai persuadé qu'il ne se faisoit pas une juste idée de cette partie des mathématiques; 1'obeissance qu'il vous doit, jointe à mes raisons, 1'ont déterminé à en faire un cours. Je ne croiois pas qu'avec cette répugnance il y fit de grands progrès; je me suis trompé:
il fait bien tout ce qu'il fait; il est exact a ses leçons; il s'applique à lire avant sa leçon, et il repasse avec soin, de manière qu'il avance beaucoup, et plus que je ne serois attendu: il est charmé d'avoir commence, et je pense qu'il fera un petit cours de géométrie, ce qui en
tout ne lui prendra que sept à huit mois. Pendant qu'il fait ses leçons, il ne s'est point relaché aur ses autres études; il avance beaucoup dans le Grec, et il a presque lu la moitié de 1'Iliade d'Homère; je lui fais régulièrement des leçons sur cet auteur: il a aussi fini les historiens Latins; il en est à présent aux poètes; et il a lu entièrement Plaute et Terence, et bientôt il aura fini Lucrèce. Au reste, il ne lit pas ces auteurs à la légère, il veut s'éclaircir sur tout; de façon qu'avec le génie qu'il a, 1'excellente mémoire et 1'application, il ira loin dans les sciences.
J'ai eu l'honneuf de vous dire ci-devant, que malgré ses études il voyoit compagnie; je puis vous le dire encore aujourdhui.
Janvier 14, 1758 MONSIEUR,
J'ai on 1'honneur de vous écrirai le 27 Juillet et le 26 8 septembre passés, et je vous ai rendu compte de la santé, des études, et de la conduite de Monsieur votre fils. Je n'ai rien à ajouter à tout ce que je vous en ai dit: il se porte parfaitement bien par la grâce de Dieu: il continue a étudier avec application, et je puis vous assurer qu'il fait des progrès considérables dans les études, et il se fait extrêmement estimer par tous ceux qui le connoissent, et j'espère que quand il vous montrera en détail ce qu'i1 sait, vous en serez très content. Les Belles Lettres qui sont son étude favorite ne 1'occupent pas entièrement; il continue les mathématiques, et son professeur m'assure qu'il n'a jamais vu personne avancer autant que lui, ni avoir plus d'ardeur et d'application qu'il n'en a. Son génie heureux et pénétrant est seconde par une mémoire des plus heureuses, tellement qu'il n'oublie presque rien de ce qu'il apprend. Je n'ai pas moins lieu d'être content de sa conduite; quoiqu'il étudie beaucoup, il voit cependant compagnie, mais il ne voit que des personnes dont le commerce peut lui être utile.